GRAND ENTRETIEN - Stéphane Bailly, PDG de CAR Avenue - "Il était urgent de relancer l'activité"
La Semaine – 28/05/2020
« Il était urgent de relancer l'activité »
L'État a présenté, ce mardi 26 mai, SON PLAN DE SOUTIEN À LA FILIÈRE AUTOMOBILE, durement éprouvée par la crise du Covid-19 et le confinement. Stéphane Bailly, PDG du géant Car Avenue qui regroupe plus de 100 concessions dans le Grand Est, au Luxembourg et en Belgique, porte son regard de professionnel sur les mesures dévoilées par le président de la République, Emmanuel Macron.
Emmanuel Macron vient tout juste de s'exprimer et de détailler un plan de soutien «massif » à la filière automobile, chiffré à hauteur de 8 milliards d'euros. Le président de la République a-t-il répondu à vos attentes ?
Stéphane Bailly
« Il s'agit là d'un plan ambitieux mais réaliste, un plan, faut-il le rappeler, qui était très attendu par l'ensemble de la filière qui traverse une crise profonde, sans précédent. Les aides accordées jusqu'à présent, s'il faut les saluer, n'ont pas pour autant permis de compenser les lourdes pertes de nos entreprises. À ce sujet, on peut déplorer qu'il n'y ait pas eu de prise en charge de nos charges salariales, par exemple, ou encore des taxes locales de type publicitaires ou sur les surfaces commerciales. Il est primordial que les gens comprennent la réalité de notre secteur d'activité : aujourd'hui, 30% des entreprises de la filière automobile sont menacées de dépôt de bilan, on parle là de 50 000 emplois eux aussi menacés. Dans ce contexte, il était urgent de relancer l'activité. »
Un objectif qui sera atteint grâce aux dispositions prises par l'État ?
« On peut le croire, oui, d'autant qu'on a pu constater, depuis la fin du confinement, un retour de la demande dans nos affaires. L'épargne est là, car même s'ils ont été placés pour beau coup en chômage partiel les Français ont peu consommé pendant le confinement, la confiance est là aussi apparemment et le commerce repose sur ces deux critères. Simplement, il était indispensable de prendre des mesures incitatives pour contribuer à la relance, dans notre profession de services automobiles, notamment, qui représente 500 000 emplois, soit un pan massif de l'économie française.
L'allocution du président de la République est de nature à nous rassurer, sachant que dix milliards d'euros sont actuellement immobilisés sur les parcs en France. Un million de véhicules étaient en stock à la fin du confinement, 50% de neufs, 50% d'occasion, un stock composé à 95% de motorisations thermiques. »
« L'automobile a vraiment toute sa place dans le monde d'après »
Parmi les « mesures incitatives » que vous évoquez figure la prime à la conversion (3 000 euros d'aides de l'État pour l'achat d'un véhicule répondant à la norme Euro 6 et même 5 000 euros s'il est électrique) à laquelle trois quarts des Français, selon Emmanuel Macron, seraient éligibles ?
« Oui, tout à fait, mais il y a deux messages à faire entendre. Le premier est qu'elle concerne tous les véhicules, neufs ou d'occasion, électriques, hybrides mais aussi thermiques. Nous trouvons là une réelle opportunité de rajeunir notre parc automobile mais qu'il va falloir saisir très rapidement. Et c'est le second message : cette prime à la conversion élargie ne concernera que les 200 000 premiers achats en France, soit un ou deux mois de vente. Tout va donc se jouer en juin et juillet. Une chose est sûre : si les Lorrains tardent à se décider, d'autres, ailleurs, ne manqueront pas de sauter sur l'occasion. D'autant que les médias, juste après le discours du Président, n'ont pas forcément souligné le réel bénéfice que pourraient tirer les clients des mesures nécessaires qui ont été prises. »
« 30% DES ENTREPRISES DE LA FILIÈRE AUTOMOBILE SONT MENACÉES DE DÉPÔT DE BILAN, ON PARLE LÀ DE 50 000 EMPLOIS EUX AUSSI MENACÉS »
Vous nous éclairez ?
« Ce plan dévoilé a été construit pour soutenir la filière électrique, hybride et pour relancer le commerce. Au final, un particulier qui veut changer son vieux véhicule pour un véhicule neuf électrique peut additionner les aides : 7 000 euros de prime électrique auxquels il convient d'ajouter 5 000 euros de prime à la conversion bonifiée, soit 12 000 euros. Ce n'est pas rien ! »
Au sujet de l'électrique, pensez-vous que le Président a desserré le frein à main chez certains acheteurs potentiels en annonçant que 100 000 bornes de recharge seraient disponibles sur le territoire d'ici 2021 ? « La première interrogation des consommateurs reste le prix ; avec les mesures incitatives, dont on a déjà parlé, pour développer cette motorisation, on va faire baisser les prix. La deuxième chose, ou le deuxième objectif, est qu'il faut élargir le panel de consommateurs susceptibles de pouvoir rouler électrique. La question des bornes de recharge est une vraie question. Le développement des infrastructures, je le pense, saura répondre aux besoins et aux attentes d'une partie de la population. »
Ces attentes ont semble-t-il évolué pendant la crise du Covid-19. Les débats autour du fameux monde d'après ont parfois, souvent même exclu la voiture des projections peut-être idéalisées. Une source d'inquiétude pour un professionnel comme vous ? « Aujourd'hui, plus que jamais, je pense que les Français vont opter pour des choix de vie différents, quitter le centre-ville par exemple pour gagner la périphérie ou la campagne. Ils basculent vers un retour au vert, se tournent vers les circuits courts, tout comme Emmanuel Macron d'ailleurs quand il prône dans son intervention la réindustrialisation de la France. Le recours au télétravail a aussi engendré de nouveaux comportements... Et dans ce contexte, la mobilité a tout son sens avec une auto plus vertueuse. C'est bien l'objet de ces primes à l'électrique et à la conversion. Les deux ne sont pas incompatibles : on peut garder toute sa liberté de mouvement et respecter l'environnement. L'automobile a vraiment toute sa place dans le monde d'après que vous évoquez ; en revanche, il faut la considérer ou plutôt l'intégrer à une politique environnementale globale. »
Un dernier mot sur votre groupe, CAR Avenue. La crise sanitaire, le confinement vous ont fait très mal ? « Il est difficile de quantifier les pertes mais cette crise, oui, aura eu un impact financier lourd, globalement une année de résultat. Ce sont environ 10 000 voitures que nous n'avons pas vendues durant cette période. Alors oui, j'ai été inquiet mais j'ai toujours gardé confiance, d'autant que les équipes sont tout le temps restées connectées, se sont serré les coudes, certains salariés ont été mobilisés pour dépanner en première ligne. Nous avons aussi décidé, par civisme et conviction, de contribuer à l'élan de solidarité en offrant 10 000 kits de protection pour les véhicules des soignants. Certes nous payerons un lourd tribut à cette crise mais d'autres ont connu les guerres... Ça fait partie des choses de la vie. Et puis aujourd'hui, l'enjeu est dans la relance, le dynamise retrouvé. Il nous appartient de faire évoluer nos pratiques pour répondre aux attentes de nos clients qui eux seuls décident. Je parle d'évolution, numérique notamment, et en aucun cas de révolution. L'idée est de leur offrir une expérience d'achat fluide entre le web et le store. »
Propos recueillis par Thomas Vuagnoux
Le plan de soutien à la filière automobile en quelques chiffres
• Prime électrique (bonifiable) : 7 000 euros pour les particuliers, 5 000 euros pour les entreprises et collectivités, 2 000 euros pour l'achat d'un véhicule hybride rechargeable.
• 100 000 bornes de recharge d'ici 2021 en France.
• 3 000 euros de prime à la conversion, élargie y compris aux véhicules d'occasion et thermiques, 5 000 euros si la voiture achetée est électrique. Cette prime concerne les 200 000 premiers véhicules vendus à compter du 1er juin. Pour en bénéficier, moins de 18 000 euros net de revenu fiscal de référence.
• 1 million : le nombre de véhicules électriques ou hybrides que le président de la République souhaite construits en France.
• 200 millions d'euros de subventions pour « accompagner les équipementiers et l’ensemble de la filière dans leur montée en gamme », a expliqué Emmanuel Macron depuis l'usine Valeo à Étaples (Hauts-de-France).
• 600 millions d'euros : le fonds d'investissement créé pour soutenir la filière, 400 millions pour l'État, 200 millions pour Renault et PSA.
• 8 milliards d'euros : le coût du plan dévoilé par le Président.
Source : La Semaine